L’Initiative pour les droits humains au Burundi

Le prix mortel de l’opposition

Désiré Ntahondabasigiye : Abattu sous les yeux de sa famille. Tué le 12 décembre 2019 par des jeunes du parti au pouvoir. Province de Bujumbura.

Désiré Ntahondabasigiye

Abattu sous les yeux de sa famille

Désiré Ntahondabasigiye était un représentant local du parti d’opposition le Congrès national pour la liberté (CNL), dans la commune de Nyabiraba, province de Bujumbura. Il était marié et père de cinq enfants. Sa femme était enceinte de leur sixième enfant quand il a été tué par des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, le , chez lui sur la colline Musenyi, zone Nyabiraba.

Le , dans la matinée, Désiré Havyarimana, le chef du parti au pouvoir – le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) – dans la commune de Nyabiraba, a déclaré à deux commerçants locaux, eux aussi membres du CNDD-FDD, que Ntahondabasigiye collectait des contributions financières pour le CNL et qu’il enregistrait ces contributions dans un carnet. Pour mettre fin à cette rumeur, Ntahondabasigiye a remis à l’un de ces commerçants un carnet dans lequel il notait les revenus du commerce de bière locale qu’il entretenait avec sa femme, et il lui a demandé de montrer ce carnet à Havyarimana.

Cette mesure n’a pas réussi à faire taire ces rumeurs. Plus tard le même jour, des amis ont prévenu Ntahondabasigiye qu’il devait être prudent et qu’il pourrait être en danger.

Le même soir, entre et , Ntahondabasigiye était en train de diner avec sa femme et ses enfants quand plusieurs coups de feu ont été tirés à travers une fenêtre de sa maison. Les balles ont été mortelles pour Ntahondabasigiye ; il est décédé quelques moments plus tard. Sa femme et ses enfants n’ont pas été touchés.

Un témoin oculaire a vu Jean Marie Ntagahoraho, un Imbonerakure qui habitait tout près, avec un fusil à la fenêtre juste avant que les coups soient tirés, et une voisine a vu Mélance Ntakarutimana, un autre Imbonerakure, près de la maison, portant lui aussi un fusil. Juste avant l’attaque, un autre voisin avait vu Jean Marie, Mélance et trois autres Imbonerakure – Shirira, Ndori et Didier – se diriger vers la maison de Ntahondabasigiye. (Les Imbonerakure sont connus d’habitude par leurs prénoms ou surnoms.) Des habitants de la localité connaissaient bien ces Imbonerakure.

Le caractère spectaculaire de ce meurtre a attiré l’attention des médias au Burundi et une grande foule a assisté à l’enterrement de la victime. Mais six mois plus tard, les personnes responsables de son meurtre sont toujours en liberté.

Mélance a été arrêté le lendemain du meurtre, mais libéré deux semaines plus tard. Un habitant de la localité a indiqué qu’un Imbonerakure est venu dans un véhicule le chercher au centre de détention de Kabezi, le jour de sa libération. Il n’a pas été arrêté de nouveau depuis. Un officiel du parquet a entamé une enquête, mais jusqu’à présent, aucune autre personne n’a été arrêtée en lien avec le meurtre, et l’enquête semble avoir été abandonnée. L’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB) a écrit aux responsables du gouvernement national pour demander quelles actions les autorités avaient entreprises à la suite du meurtre de Ntahondabasigiye. L’IDHB a également écrit au procureur de la République de la province de Bujumbura avec des questions supplémentaires sur les auteurs présumés du meurtre. Aucune de ces autorités n’a répondu.

Dans les jours et les semaines qui ont suivi la mort de Ntahondabasigiye, trois des Imbonerakure qui avaient été vus près de la maison le soir du meurtre – Mélance, Ndori et Didier – ont menacé des membres de sa famille et les ont prévenus qu’ils les tueraient s’ils continuaient de suivre l’affaire.

Ntahondabasigiye avait été menacé à plusieurs reprises dans le passé en lien avec ses activités d’opposant politique. Après avoir participé aux manifestations contre la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat en , il a fui le Burundi. À son retour environ deux ans plus tard, il a été arrêté et incarcéré à la prison de Mpimba à Bujumbura ; il a été libéré en . Des Imbonerakure ont continué à le menacer après sa libération.

Environ deux mois avant le meurtre, Havyarimana a menacé Ntahondabasigiye après qu’il a refusé de verser une contribution financière au CNDD-FDD. Havyarimana, qui était accompagné de l’Imbonerakure appelé Shirira, lui a assuré qu’il était à leur merci. Un habitant de la localité s’est souvenu qu’il se trouvait avec Ntahondabasigiye quelques jours avant sa mort quand Havyarimana est passé devant eux et a déclaré à Ntahondabasigiye : « Je te tiens dans ma main comme un œuf. »

Le motif exact de son meurtre n’est pas confirmé. Toutefois, des habitants de la localité et d’autres sources proches du cas pensent qu’il aurait probablement été ciblé à cause de ses activités au sein de l’opposition politique, et que Havyarimana aurait pu jouer un rôle dans la planification de son meurtre. Havyarimana a catégoriquement nié ces allégations. « Ce sont des mensonges », a-t-il affirmé le . « Je ne l’avais pas vu (Ntahondabasigiye) de toute une semaine. Le matin de sa mort, j’assistais à l’enregistrement des électeurs. J’ai quitté la maison très tôt et je suis rentré vers . Je n’ai jamais rencontré ce Désiré. »

En réponse aux allégations selon lesquelles les Imbonerakure Mélance, Jean Marie et Shirira auraient pu être impliqués dans le meurtre, Havyarimana a répondu : « Je connais Shirira ... J’étais avec lui toute la journée. Au moment du meurtre, j’étais avec lui ... Ce sont des mobiles politiques. Ils veulent juste se débarrasser des dirigeants du CNDD-FDD. Je n’ai pas vu Jean Marie depuis longtemps ... Je ne connais pas les motifs de ce meurtre. Je ne sais même pas où habite ce Désiré. Je suis sûr que Shirira ne le connait pas. En fait, au début, je pensais qu’il s’était suicidé. Il faut chercher (la réponse) au sein de sa famille. » Il a balayé les allégations selon lesquelles il aurait menacé la victime le matin de sa mort : « Je n’ai jamais été en contact avec Désiré Ntahondabasigiye ... On ne se parle pas. »

La province de Bujumbura (auparavant appelée province de Bujumbura Rural) est depuis longtemps un fief du CNL. Durant le conflit armé au Burundi dans les années et , le Parti pour la libération du peuple hutu-Forces nationales de libération (PALIPEHUTU-FNL) – le groupe armé qui s’est ensuite transformé en parti politique, le FNL, puis s’est rebaptisé CNL en  – a utilisé cette région comme sa base principale et a mené des attaques sur la ville de Bujumbura. Même après la démobilisation du FNL et son agrément en tant que parti politique en , cette région a continué d’être la scène de tensions et de violence politiques, et des membres des forces de sécurité ainsi que des Imbonerakure ont ciblé des membres du FNL, et, plus récemment, du CNL. Depuis le début de la crise politique actuelle au Burundi en , la population locale a souvent signalé des tensions politiques et des tueries dans la province.

Dans la deuxième moitié de , des affrontements ont été signalés entre des hommes armés non identifiés d’une part, et la police et l’armée d’autre part, dans les communes de Kanyosha et Nyabiraba. De nombreux membres du CNL ont été arrêtés à la suite de ces événements, qui, d’après certaines sources, avaient été mis en scène par les autorités afin de les attribuer au CNL et d’affaiblir leur rival principal avant les élections. Des Imbonerakure ont participé à cette mise-en-scène d’attaque et ont fait semblant d’être des combattants. Des images macabres de certains soi-disant combattants qui avaient été tués ont circulé sur les médias sociaux.

Quelques semaines plus tard, le , Méthuselah Nahishakiye, chef du CNL sur la colline Migera, commune Kabezi, a été tué par balles vers , près de la maison de ses parents où il logeait. Il présentait de nombreuses blessures par balle sur les jambes, les bras, le ventre, la poitrine et le visage. L’identité des auteurs n’est pas connue.

Pendant les semaines précédentes, Nahishakiye, âgé d’environ 25 ans, avait fui sa maison après avoir été menacé par des Imbonerakure et d’autres membres locaux du CNDD-FDD qui auraient été mécontents de ses activités, consistant à mobiliser les gens pour adhérer au CNL. Un ami a déclaré que le jour de son enterrement, des Imbonerakure à moto ont suivi le cortège funéraire et l’ont traversé en scandant des slogans menaçants.

Douze personnes, la plupart membres du CNL, ont été arrêtées et interrogées après le meurtre. Huit ont été libérées le et quatre transférées à la prison de Mpimba à Bujumbura. Ces arrestations sont typiques d’une tendance qui suit souvent les violations des droits humains contre des membres du CNL : les autorités arrêtent fréquemment d’autres membres du CNL, souvent sur des motifs fallacieux, alors que les membres du CNDD-FDD cités par des témoins comme les auteurs présumés échappent à la justice.

Au mois de , un membre du CNDD-FDD a confié qu’un officier de police judiciaire avait donné à une autorité locale des mandats d’arrêt vierges, à compléter avec les noms de membres du CNL dans sa localité. Des dizaines de membres du CNL ont été arrêtés dans la province de Bujumbura pendant la période pré-électorale, dans de nombreux cas arbitrairement, pendant que le gouvernement cherchait à entraver les activités du CNL avant le scrutin.