L’Initiative pour les droits humains au Burundi
Évariste Ndayishimiye lors d’un rassemblement à Bujumbura en 2018. © 2022 Privé
Évariste Ndayishimiye lors d’un rassemblement à Bujumbura en . ©  Privé

Deux ans plus tard, pas de justice pour les meurtres politiques

Une lettre ouverte au Président Évariste Ndayishimiye

Votre Excellence Monsieur le Président,

Nous vous écrivons à l’occasion du deuxième anniversaire de votre investiture comme Président du Burundi.

Il y a deux ans, peu après votre prestation de serment, l’Initiative pour les droits humains au Burundi vous a adressé une lettre ouverte, qui décrivait comment six Burundais ont été tués entre et en raison de leurs affiliations politiques. Leurs cas sont énumérés ci-dessous.

La plupart des victimes étaient membres du parti d’opposition, le Congrès national pour la liberté (CNL). Des membres des Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir – le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD) – étaient responsables de la plupart de ces crimes. Dans certains de ces cas, les Imbonerakure ont agi de connivence avec des autorités locales ou des représentants locaux du CNDD-FDD – ou avec leur soutien apparent ; certaines de ces autorités ont depuis été promues.

  • Le , dans la province de Ngozi, Évariste Nyabenda, membre du CNL, est décédé des suites de ses blessures. Des Imbonerakure l’avaient agressé quand il a tenté de les empêcher de battre d’autres membres du CNL.
  • Le , dans la province de Bujumbura, Désiré Ntahondabasigiye, représentant local du CNL, a été abattu à travers une fenêtre de sa maison. Deux Imbonerakure armés ont été aperçus à proximité de chez lui avant sa mort.
  • Le , dans la province de Muyinga, Fauzia Basesuwabo, membre du CNL, est décédée des suites de ses blessures, quelques jours après que des Imbonerakure l’ont battue, ainsi que son mari et leurs trois fils.
  • Le , dans la province de Bururi, Albert Niyondiko, qui était soupçonné de soutenir l’opposition armée, a été abattu lors d’une opération de la police et du Service national de renseignement (SNR).
  • Le , Seconde Ndayisenga, l’administrateur de la commune de Ryansoro, dans la province de Gitega, a ordonné à des Imbonerakure de tuer Jean Bosco Ngabirano, membre du CNL. Son corps a été retrouvé le lendemain ; il semblait avoir été gravement battu.
  • Le , deux semaines avant les élections, Richard Havyarimana, membre du CNL, a été enlevé dans la province de Mwaro. Il a été retrouvé mort dans une rivière trois jours plus tard, avec de profondes entailles à la tête.

Justice n’a pas été rendue pour les meurtres d’Évariste, de Désiré, de Fauzia, d’Albert ou de Jean Bosco. Personne n’a été poursuivi pour leurs meurtres, les enquêtes ont été interrompues et les familles de certaines victimes ont été menacées pour étouffer la vérité.

Il n’y a que dans le cas de Richard Havyarimana qu’il y a eu un semblant de justice. En , un tribunal de la province de Mwaro a condamné deux Imbonerakure à 15 ans de prison pour son meurtre. D’autres individus soupçonnés d’être impliqués dans son enlèvement n’ont jamais été arrêtés, et l’un des Imbonerakure qui a été condamné a été aperçu en dehors de la prison, près de son village natal.

Ces événements ne se sont pas produits isolément et ne font pas non plus partie du passé. Depuis que vous avez été élu président, nous avons documenté plusieurs autres cas de meurtres politiques, de disparitions forcées et de torture d’opposants au gouvernement, dont les suivants :

  • Le , Égide Sindayigaya, âgé de 64 ans, est décédé dans un cachot de la police de la province de Rumonge, après que le SNR l’a torturé et que la police a abattu son frère.
  • Le , un membre du CNL surnommé Rasta a été retrouvé mort dans la province de Bubanza, après que des Imbonerakure l’aient sévèrement battu la veille.
  • Le , dans la province de Bururi, la police a abattu Bernardino Baserukiye, qui venait d’être libéré de prison ; le commissaire communal de la police, Moïse Arakaza, l’avait accusé d’être un rebelle.
  • Le , des hommes en tenue militaire ont enlevé un membre du CNL, Élie Ngomirakiza, à Bujumbura. Il n’a jamais été revu et on pense qu’il a été tué.
  • Entre le et le , Innocent Barutwanayo, membre du CNL, est mort pendant sa détention au siège du SNR à Bujumbura, après avoir été torturé par le SNR à Kayanza.
  • Le , Augustin Matata, membre du CNL, est décédé après avoir été torturé au siège du SNR à Bujumbura.

Ce n’est que dans l’un de ces cas en qu’il y a eu une lueur d’espoir que justice soit rendue. En , l’agent du SNR Gérard Ndayisenga a été arrêté pour son rôle dans la mort d’Augustin Matata, juste un des nombreux crimes qu’il a commis au cours de ses années de service au SNR. L’arrestation de Ndayisenga a été importante. Vous avez promis qu’il serait « puni de manière exemplaire ». Veillerez-vous à ce que la justice lui demande des comptes pour les actes de torture, les meurtres et autres crimes graves qu’il a commis en tant qu’agent du SNR et le juge sans délai, dans le cadre de procédures crédibles ?

Dans de nombreux discours publics au cours des deux dernières années, vous avez parlé avec force du besoin de justice au Burundi, affirmant que « personne n’est au-dessus de la loi » et que « les maux de la justice sont en train d’être corrigés ». Mais il y a encore un grand écart entre vos promesses et la réalité. Le système judiciaire n’a pas mené de réformes substantielles, ni résisté aux manipulations politiques. Cette absence de progrès a été extrêmement décevante pour les victimes et leurs familles ; elles ont le droit de connaître la vérité et de voir les responsables traduits en justice.

Sur les 12 cas énumérés ci-dessus, seuls des progrès ont été accomplis pour deux de ces meurtres concernant les poursuites en justice de certains responsables. L’impunité qui protège les auteurs des autres meurtres est typique de presque toutes les violations graves des droits humains contre des opposants réels ou supposés au gouvernement au cours des deux dernières années.

Votre Excellence, lors de votre entrée en fonction, de nombreux Burundais, ainsi que des acteurs internationaux, pensaient que vous étiez véritablement engagé dans la promotion de la justice. Ils voulaient vous donner le bénéfice du doute. Deux ans plus tard, cet optimisme a commencé à s’estomper.

Vous avez promis à plusieurs reprises de mettre fin à la corruption omniprésente dans le système judiciaire, mais vous n’avez pas mis fin à l’ingérence de membres du parti au pouvoir, d’agents du SNR et d’autres autorités, qui sape l'indépendance du pouvoir judiciaire.

En votre qualité de chef de l’État, de garant de l’indépendance de la magistrature et de responsable de la supervision de l’agence de renseignement, vous avez la capacité d’assurer que les hommes puissants dans votre entourage – ainsi que leurs hommes de main – soient traduits en justice. Vous pouvez mettre fin à l’impunité une fois pour toutes. Vous avez déclaré récemment que « l’impunité crée l’anarchie ». Vous avez raison. Ce n’est que lorsque la justice sera rendue pour les crimes graves, tels que les cas cités dans cette lettre, que le Burundi pourra se remettre de son passé et se concentrer sur les défis sociaux et économiques à venir.

Veuillez agréer, Votre Excellence Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération,

L’Initiative pour les droits humains au Burundi